J’ai choisi, en guise de lieu propice à explorer le sens, un point de rencontre entre deux mondes. Je suis étendue, comme à mon habitude, sur de longues herbes sèches, près d’un étang marin. Le ciel est clair, tout semble si paisible.

D’un côté le ressac de la méditerranée, de l’autre la plénitude de l’étang des sables d’or ; deux mondes se rencontrent comme le feraient les eaux de deux océans. Les échanges sont à tel point progressifs que l’on pourrait croire qu’ils se côtoient sans jamais vraiment s’unir.

C’est ici qu’apparaît clairement le point de départ de notre cheminement. Un autre lieu de rencontre entre deux mondes, le corps et le mental. Un lieu où l’expression de nos émotions les plus profondément enfouies est rendue possible ; un lieu où la lumière du jour disparaît dans la dimension archaïque de notre existence.

Le cou, le canal d’une éventuelle connexion entre un mental qui cherche à se persuader que tout est sous contrôle et un corps libertaire ; il fonctionne, au grand dam du mental, de manière naturelle, spontanée, indépendamment de notre volonté. Peut-être répond-il à une autre autorité mais c’est un autre sujet.

Sa part cachée m’amène près d’un robinet plus communément nommé la gorge. Un robinet que l’on prend bien soin de laisser fermé car que se passerait-il si nous laissions couler à flots nos émotions ?

Je descends en rappel dans le réceptacle du monde vivant. Je m’assure que la marée est basse et puis, de manière quelque peu hésitante, mon attention glisse le long de ma gorge. Non loin d’ici, un peu plus bas, il paraît qu’un monstre rode ; il n’a pas de nom, il n’est qu’une ombre, celle qui nous hante depuis le fin fond de notre lit d’enfant. Ici la première question surgit comme lorsque l’évidence nous frappe.

Pourquoi l’homme s’évertue-t-il à descendre dans l’infiniment petit du corps, de la matière ?

Pourquoi cherche-t-il à la maîtriser ? Une vieille angoisse de ne pas pouvoir le contrôler peut-être. J’entends, je lis qu’il faut être en phase avec son corps, lui faire confiance et l’écouter.

Ok. Mais on fait comment concrètement ? Je n’ai pas encore trouvé de formule qui m’ouvre la porte. Certains ont trouvé des clefs pour parvenir à le contrôler, Le training autogène par exemple, je ne sais pas si vous connaissez cette approche. On peut par son biais modifier le rythme cardiaque et même le fonctionnement des glandes hormonales. Mais il faut une certaine expertise dans la pratique pour arriver à ce niveau et ça reste somme toute assez dangereux sans un bon guide. Je l’ai personnellement utilisé pour me détendre, c’est en fait la base de la sophrologie.

Depuis longtemps je cherche à faire alliance avec mon corps sans avoir à concentrer mon attention mais, comment dire. Un malaise de fond m’empêche de pouvoir vraiment le faire. Des mémoires enfouies vibrent comme un cristal brisé avec ce que je pense ou crois penser. Une mutinerie se prépare-t-elle à mon insu dans ce clair-obscur ?

Si mon corps amorce le début de ma fin, que puis-je faire qui pourrait l’empêcher ? Fonctionne-t-il en solo ou répond-il à une autorité qui m’échappe ?

Notre corps changera d’état pour retourner dans la matière, d’où il vient, par les cendres ou par la chair.

Notre identité sociale deviendra peut-être une mémoire, une réminiscence, comme une étoile qui brille un temps.

Pour reprendre une magnifique métaphore, on pourrait dire que l’esprit est le Maître du carrosse. Les deux chevaux représentent le pôle pulsionnel, les pulsions de vie et les pulsions de mort. Le carrosse c’est le corps. Le cocher le mental, il tient les rênes et peut parfois faire fi de la direction annoncée par le maître. L’éveil consisterait donc à ce que le maître impose sa voix, ou se réveille, pour que le mental reprenne ainsi sa véritable place.

Il ne cherche que ça le mental ; beaucoup d’entre nous cherchent un Maître

On le cherche alors qu’il est juste là, dans notre corps, dans le carrosse. On croit toujours, enfin j’ai longtemps cru pouvoir me connecter à l’esprit via mon mental. Je l’ai cherché un temps, croyant même, dans des élans mégalomaniaques fougueux, qu’il me cherchait surement lui aussi. J’étais jeune. Je suis partie en quête du moindre indice le concernant alors qu’il était là, dans mon intériorité la plus profonde.

Vu le temps passé pour certains d’entre nous à chercher l’esprit j’ai presqu’envie de dire ah ! La bonne blague.

Notre corps a bonne mémoire, il sait d’où il vient, il ne perdra jamais de vue son origine. Le mental, lui, a courte mémoire, il se rebelle, il est indéniablement habité par un désir de s’extraire de l’ordre établi tout en cherchant son maître. Il est vraiment comme le cochet, il vit projeté à l’extérieur, sur le parvis de la fenêtre.

Nous avons quelques variantes bien sûr, certains cochets veulent faire sans loi ni maître ; d’autres croient pouvoir régner sur le monde. Ils sont convaincus de détenir les clefs de l’harmonie, du vivre ensemble. Mais dans le fond, si l’on regarde à droite de la lucarne centrale, il me semble bien que nous sommes tous de simples cochets non ? Qu’en dîtes-vous ?

Aujourd’hui ça paraît tellement compliqué de l’intégrer, de faire que le verbe puisse à nouveau s’incarner. Nous sommes déconnectés et tellement conditionnés. L’angoisse nous hante, elle nous ronge parfois, comme un rat dans l’estomac ; car c’est quand même tendu de maintenir son sentiment de toute puissance. Y a toujours un moment où ça se complique.

Selon la métaphore du carrosse le Maître est donc présent dans notre corps. L’attention, le sixième sens serait d’après plusieurs sources traditionnelles le seul vecteur capable de permettre cette rencontre. Elle promet de belles prouesses si on l’oriente sur le monde extérieur, elle nous mène à notre vérité si nous la maintenons à l’intérieur. Il suffit de quelques minutes quotidiennes. Quelques minutes ce n’est pas grand-chose. C’est vrai, on a tous à notre actif des millions de minutes passées devant un écran, quel qu’il soit.

Et bien pour autant ça n’est pas si simple une fois dans la confidence et il faut du temps pour saisir l’origine de ce blocage. Pour ma part, bien que sa réaction revête peut-être une dimension universelle, je crois que mon mental se carapate ; il ne veut pas se confronter à la réalité de sa juste place. Je ne crois pas que le mental, et plus précisément l’ego, puisse négocier avec l’idée de sa nature éphémère.

Le mental bug, tout simplement, comme un ordinateur le ferait

Combien de récits témoignent de ce bug lorsque le mental, confronté à la mort, voit défiler pour se raccrocher à son sentiment d’existence, les évènements marquants de sa vie. Peu importe l’âge d’ailleurs. Je me souviens, entre autres exemples, de l’expérience d’un enfant âgé d’un peu moins de dix ans à l’époque de son périple. Il s’était posé sur la dernière branche accessible d’un cyprès lorsqu’il chuta. Il vit sa courte vie défiler jusqu’à atterrir à califourchon sur une branche située à quelques mètres du sol. Peut-être ne vivons-nous pas ce défilement quand nous voyons la mort arriver de loin mais le dépourvu semble favoriser ce genre de réaction.

Quand j’ai saisi le sens profond de la métaphore, celle du carrosse, j’ai côtoyé de près le désenchantement. D’une certaine manière cela m’arrangeait de croire que l’esprit se situait au dehors. J’aurais été capable d’accomplir n’importe quelle prouesse pour qu’il me voit. De savoir que tout est en moi, que d’une certaine manière tout est là, à mes pieds, fut pour ma part une révélation déconcertante. Je cherchais à travers ma quête spirituelle à être reconnue, adoubée par une autorité qui nous dépasse. Peut-être s’agissait-il aussi pour moi de vivre l’intense sentiment d’appartenance à une autre famille que l’humanité.

Rien de l’extérieur ne pouvait désormais me prendre en charge

Aucune autorité, aucun parent spirituel ne pouvait me sauver d’un monde que je trouvais archaïque. Mais cela me permettait aussi, à un autre niveau, de ne pas passer par l’étape du renoncement à soi-même. Dès lors mon sentiment d’importance était renforcé car j’étais en quelque sorte élue par l’esprit tout puissant. C’était un mélange de tout ça, le genre de mauvais cocktail qui vous envoie tout droit au fin fond de la forêt tordue.

Que ferait l’homme de sa vie s’il prenait durablement conscience de la duperie de fond ? Accepterait-il de servir avec humilité, à sa juste place de cochet, ou chercherait-il à s’extraire de sa condition ? Et s’il cherchait à s’en extraire, ne risquerait-t-il pas, inexorablement, de devenir l’outil de sa propre destruction ?

Ce ne sont là que des questions, il y a encore tant à explorer, peu importe les réponses du reste. Il s’agit là de questionner le sens, de remettre en question nos certitudes sans jamais chercher de vérité. L’image du carrosse n’est pas une vérité, elle n’est qu’une image. Je vous expose la vision que j’en ai mais chaque vision sera juste, pourvu qu’elle soit en résonnance avec nous-même.

Voilà. Il y a donc encore beaucoup à explorer mais je crains que cet article, qui doit en l’état rester un article, ne finisse par être un peu long.

Alors d’aucuns diront que cette publication est l’expression sans conteste possible d’une hypochondrie latente ou encore d’une tentative masquée de mon ego à contourner l’évidence. Effectivement tout est possible. Dans le meilleur des cas je me dis que j’ai peut-être trouvé la voie du Yoga en passant mon redoutable ego sur l’autel du sacrifice. Et d’un point de vue plus réaliste je me dis que je ne suis pas encore finie, que je n’ai pas encore suffisamment renoncé à moi-même pour faire le grand saut.

A bientôt pour une nouvelle excursion !

Quelques sources :

Il n’y a pas d’instant zéro de la mort ; interview par le magazine le point du spécialiste du cerveau Stéphane Charpier

Une nouvelle étude soulève des questions ; la Presse

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