Quand les enfants s’éloignent : et si ce n’était pas ce qu’on croit ?

De plus en plus de parents disent se sentir abandonnés par leurs enfants.
Mais derrière ce retrait, il y a parfois autre chose. Une histoire ancienne. Une limite nécessaire.
Et si ce silence n’était pas une rupture… mais une tentative de survie ?

Une souffrance que l’on ne veut pas voir

Beaucoup de parents se sentent aujourd’hui abandonnés par leurs enfants. Et parfois, ils le sont. Mais pas toujours pour les raisons qu’ils croient.

Je peux sentir leur souffrance. Une souffrance parfois nécessaire, parce qu’elle vient labourer un sol longtemps resté figé. Une souffrance fertile, à condition qu’on accepte d’en regarder les racines.

Doit-elle pour autant devenir un moyen ?

Ce que dit la loi

Dans notre droit, ne pas subvenir aux besoins vitaux de ses parents est une faute punissable. C’est écrit noir sur blanc : si ton ou tes parent(s) n’ont pas les moyens de vivre dignement, et que tu as des ressources, tu dois les aider.

Mais cette loi ne parle pas d’amour. Elle ne parle pas de violence. Elle ne parle pas de ce qui s’est passé avant.

Il n’est pas ici question d’héberger son parent, de le soutenir dans l’épreuve, ou de répondre à ses besoins émotionnels. Il s’agit simplement de la survie du corps, du plan vital. Le texte précise aussi une possible dispense si le parent a gravement manqué à ses devoirs.

Le silence comme seul espace possible

Un enfant distant ou absent est-il abandonnique ou abandonné ? Derrière le silence on trouve souvent ceci :

  • Blessures non reconnues
  • Humiliations répétées
  • Intrusions dans l’intime, voire des abus
  • ou tout simplement : le refus de continuer à jouer un rôle dans une pièce qui blesse

« Le silence n’est pas toujours un rejet. Il est parfois la seule manière de rester vivant. »

Je ne crois pas qu’on puisse vraiment rompre avec ses parents. On peut fuir, couper, se taire… mais dans chaque cellule de notre corps, il y a leur empreinte. Leur histoire vibre encore, même quand on n’en veut plus.

À quoi sommes-nous redevables ?

Qu’est-ce qu’on doit vraiment à ses parents ? Et que se passe-t-il quand ce qu’on nous a transmis est toxique ou destructeur ? Pourquoi tant de parents nient la douleur qu’ils ont causée ? Et comment l’enfant peut-il poser ses limites sans être accusé d’ingratitude ?

Autant de questions intéressantes à dérouler pour parvenir à une vision qui glace le sang de certains — moi la première, je vous assure.

Donner la vie ne donne pas tous les droits

Ce n’est pas parce qu’on a donné la vie qu’on peut exiger de l’amour. On a porté en soi pour que la vie se renouvelle. On a accouché d’elle.

On accouche d’une étincelle de vie, logée dans un corps constitué de nos gènes. Ce qu’on appelle communément un prolongement de nous-même. Mais c’est au nom de la vie qu’on a enfanté, pas en notre nom ou en celui du père.

On peut être fière de notre œuvre de chair, un bébé. Mais nous ne sommes pas les parents de la présence qui l’habite.

L’origine du battement de cœur

Je crois que dans le fond, chacun d’entre nous voit l’évidence. Quel parent peut affirmer aujourd’hui qu’il est à l’origine du premier battement de cœur du fœtus ?

La science n’a jamais trouvé son origine. Quand certains chercheurs d’origine s’en approchent, ils voient leur propre limite… et commencent à parler de Dieu. C’est assez répandu.

Ce que le corps reçoit… et ce que la conscience endure

Sommes-nous de facto redevables de notre corps ? Puisque c’est le dernier bastion disponible — un corps de chair — qui a pris la matière et l’énergie de sa mère pour s’élaborer.

Autrefois, le père nourrissait la mère pour qu’elle puisse à son tour nourrir l’enfant. Le père occupait alors la première place dans la hiérarchie, en tant que nourrice.

Nous serions donc redevables d’un corps de chair abouti, reçu de nos deux parents. C’est précisément ce que dit notre loi : les aider à vivre dignement s’ils n’en ont pas les moyens, et qu’on les a.

Mais il y a un autre héritage. Tout comme le corps d’un enfant peut recevoir des mauvais traitements, sa conscience émergente peut être fracturée en quelques épisodes.

Héritage invisible : mémoire, douleur et transmission

C’est un cercle vicieux qui remonte à la nuit des temps. Et je suppose que personne aujourd’hui ne peut le rompre.

Mais toutes ces mémoires, ces traumas vécus, non dépassés, que l’on accumule depuis des millénaires, forment un socle fragile.

À force d’aliénation dans la douleur, la transmission devient de plus en plus déficiente. Carencée. Souvent torturée par des conflits internes, des divergences inconciliables, voire même des syndromes dissociatifs — les seules issues encore possibles quand la contradiction fissure le réel.

Voilà ce dont on hérite. Avec, en lot de consolation, quelques bons moments « sympas » en famille, qui permettent tant bien que mal de se construire un peu.

Mais parfois ce n’est pas tout à fait le minimum. Et parfois même, pas du tout.

Trouver un espace pour grandir

Trouver un espace pour grandir est difficile. Et dehors, on n’est pas forcément à l’abri non plus… mais peut-être un peu plus quand même. Enfin, faut voir.

Et à chaque fois, si on prend la peine de regarder d’un peu plus près autour de nous, l’évidence nous frappe : ce que nos parents n’ont pas pu nous donner, c’est ce qu’ils n’ont pas reçu de leurs propres parents.

Une clef, et toutes les autres à venir

On vient de trouver une clef. C’est une clef importante. Mais il y en a d’autres à chercher. D’autres portes à ouvrir.

Nos parents n’ont pas pu nous donner ce qu’on ne leur a pas donné. Mais sont-ils allés le chercher ? Ont-ils fait le chemin pour un jour pouvoir se présenter à moi en tant que parent ?

Ou dois-je éternellement subir leur manque de motivation à se renouveler ?

Quand s’éloigner devient vital

De nombreuses raisons peuvent expliquer la prise de distance d’un individu envers ses parents. Le manque de renouvellement. Le besoin de couper le lien pour se recentrer. Ou pour cibler les priorités de sa vie en mettant à l’écart ce qui empêche d’y aller.

Parfois, c’est le jeune ou l’adulte qui doit avancer dans cette distance. Pas forcément le parent.

La paix sans lien

Certains enfants trouvent la paix hors du lien familial.

Est-ce une faute ? Une survie ? Une libération ?

En tout cas, cela donne une chose essentielle : l’assurance qu’il n’est pas seul là où il se trouve.

C’est ça, l’essentiel : que l’expérience se poursuive pour lui, et l’emmène jusqu’à sa cible.

Le rôle des mères

Nous, en tant que parents — et plus particulièrement en tant que mères — avons pour mission de l’amener à l’autonomie complète.

Notre rôle consiste à répondre à ses besoins tout en lui transmettant l’art de le faire lui-même.

Et quand l’heure du départ approche, il ne s’agit plus de le nourrir, car il sait le faire par lui-même, mais de le guider un temps, jusqu’à ce qu’il apprenne à se perdre.

Car sinon, aucun des deux ne peut vraiment aller vers sa cible.

Pour finir : qui doit faire le premier pas ?

Quand vous vous sentez abandonné par votre enfant, cherchez-vous à revendiquer le lien, ou l’emprise que vous exercez sur lui ?

Ressentez-vous de l’injustice, de la colère dans cette distance ou cette rupture ? Votre douleur est-elle encore fertile… ou est-elle devenue un mouroir ?

Vos réponses vous diront peut-être que c’est à vous de regarder l’envers de ce qui vous fait souffrir. Faire le premier pas.

Vous êtes la mère, après tout. C’est à vous de guider, pas de condamner.

On se condamne déjà bien assez tout seul, vous ne croyez pas ?

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